
L’Angélus, une exégèse du Mystère
- Comment comprendre le mystère de l’Incarnation
Comment comprendre le mystère de l’Incarnation posé en mode narratif dans l’évangile que nous venons d’écouter et que nous livre l’occurrence liturgique de l’Annonciation ?
Comment comprendre ce mystère qui a profondément perturbé même les théologiens de bonne foi, divisé thomistes et scotistes, et contre lequel achoppèrent les savants antiques qui ont multiplié illogismes sur illogismes, hérésies sur hérésies, de l’arianisme à l’adoptianisme, du dyophysisme au monophysisme jusqu’au monothélisme et j’en passe les meilleurs, ou plutôt les pires ?
Comment comprendre que l’accalmie de Chalcédoine en 451, n’a pas forcément endigué de nouvelles vagues hérétiques plus subtiles et féroces en raison des nombreuses mutation de forma mentis de l’homme moderne ?
- Lex credendi, lex orandi
En vérité, rien ne m’a paru aussi pertinent que l’Angélus pour m’expliquer le mystère de l’Incarnation ! Et au fond, rien d’étonnant car la prière de l’Église est le lieu d’intelligibilité du mystère. Lex credendi, lex orandi. L’Angélus nous propose une exégèse du mystère de l’Incarnation.
Oui quand nous récitons l’Angélus, nous ne faisons pas mémoire du mystère, nous sommes plongé, dans le mystère.
Et comment ?
Le mystère de l’Incarnation est un mystère de Dieu qui entre dans la vie des hommes, et l’Angélus le restitue à la vie.
Le mystère de l’Incarnation valorise le temps, l’espace et assume la finitude humaine : l’Angélus le rappelle éloquemment !
Le mystère de l’Incarnation évoque le locus Trinitatis et locus Mariae (bassin trinitaire et marial) et l’Angélus le révèle à suffisance.
Et c’est ce que je veux bien partager avec vous ce matin.
- L’Angélus Incarne le mystère de l’incarnation en la restituant à la vie
Le premier acquis de l’Angélus, c’est qu’il introduit le mystère de l’Incarnation dans la chair de nos journées. Oui, par le triple rappel quotidien que rythme le tintement de la cloche depuis Calixte III au 15ème siècle, la prière de l’Angélus déloge le mystère de l’Incarnation de la Bible, des arcanes de la théologie universitaire pour le restituer à la vie, au quotidien des simples, des humbles.
Oui, tous les jours, et trois fois par jour, nous reprenons, concentrés ou distraits, affamés à ou méditatifs, empressés ou rêveurs, fatigués ou exaltés, pensifs ou joyeux, le matin, le midi et le soir, le sacré Angélus qui court sur les siècles, immobilisant les hommes dans les monastères et les séminaires, dans les églises ou dans les champs et livrant à leur méditation l’ineffable mystère d’un Dieu qui se fait chair.
Par ce triple rappel quotidien, l’Angélus restitue le Mystère de l’Incarnation à la vie des hommes ici et maintenant.
- L’Angélus valorise le temps et l’espace, et assume ainsi la finitude humaine
Mais l’Angélus valorise aussi le temps et l’espace, lieux indépassables de toute expérience humaine. Paul Claudel gratifié du génie de la formule pose la question suivante comme une question essentielle de l’humain : « Où suis-je et quelle heure est-il ? ». Chaque fois que retentissent les cloches pour l’Angélus, chacun de nous marque un arrêt en un lieu et à une heure donnés. Et l’Incarnation, qu’il ne faut s’empresser de brancher à sa pendante sotériologie a d’abord situé Jésus dans un temps (le premier siècle de notre ère) et dans un lieu (Nazareth en Galilée). Le récit de ce jour, respecte profondément ce critère spatio-temporel : « Au 6ème mois » (temps), « dans une ville de la Galilée appelée Nazareth » (lieu). En réaction contre une mode christologique qui valorise en Jésus, l’homme universel, un confrère bibliste dominicain, Veinard (U.B. de Jérusalem), martèle : « En s’incarnant, Jésus ne s’est pas fait homme, il s’est fait juif ». Invitant ainsi ses paires à prendre toute la mesure de cet enracinement historique. L’étape du Christ, homme universel, ne doit pas être rejetée ni contestée. Mais elle ne doit pas oblitérer cette réalité historique massive dont le potentiel spirituel et pastoral est lourd.
Marquer l’arrêt à l’Angélus, c’est prendre conscience qu’un arrêt régulier est nécessaire pour une vie humaine et chrétienne équilibrée.
Marquer l’arrêt à l’Angélus, c’est comprendre que la course et le mouvement maintiennent l’homme dans le faire et que l’arrêt et la stabilité de l’Angélus lui rappellent l’urgence d’être.
Marquer l’arrêt à l’Angélus, c’est finalement admettre avec H. U. von Balthasar que l’extensif du faire où l’homme s’épuise va toujours au détriment de l’intensif de l’être où il puise.
Et quand le signal sonore des cloches nous invite à l’Angélus,
Nous comprenons que ce rappel sonore acte et admet la possibilité d’oubli chez l’homme. L’Angélus sait que l’homme fini, peut oublier et pour cela, rappelle la prière par le son de la cloche.
Chers amis, la possibilité de penser un christianisme, une vie chrétienne et des plans pastoraux et même une vie sacerdotale sans une réelle prise en compte de la réalité du temps et de l’espace et de notre finitude nous oppose à la vérité du mystère de l’Incarnation.
Parler français dans un milieu peuplé de 90% d’analphabètes, c’est se tromper d’espace,
Imposer une messe à 12h et courir le risque de n’avoir que deux personnes et demi, c’est se tromper sur le temps,
S’entêter à situer son chapelet quotidien à 23h33, l’heure où Morphée gagne toujours le combat livré contre lui, c’est se tromper sur le temps,
Se pavaner sur les autoroutes numériques sans les casques de la prudence et une auto- limitation non de vitesse mais des sites, c’est vivre dans un trouble d’orientation en confondant les espaces…
Savez-vous le premier conseil que donne Gaston Courtois dans ses notes au jeune prêtre, un livre vieux de 70 ans maintenant ? Cet ancien pensionnaire du Séminaire Saint Sulpice d’Issy-les-Moulineaux, homme d’action qui a cependant donné la caution d’un bel élan mystique dit ceci, dès la première ligne de son livre :
« Si paradoxal que cela puisse paraître, au premier abord, le point le plus important du règlement d’un jeune prêtre, celui qui commande tous les autres, est sans contredit la fidélité à se coucher d’assez bonne heure pour assurer un temps de sommeil suffisant». Je suis resté très impressionné par ce réalisme depuis 20 ans. Il poursuit plus loin « Le manque de sommeil vous rend à votre insu plus excitable, plus nerveux et plus susceptible » (p.7-8).
Imaginer une vie chrétienne et sacerdotale qui ignore les exigences spatio-temporelles et les limites qu’impose la finitude, c’est vivre en opposition à l’esprit de l’Incarnation.
Cependant, le Mystère n’enferme pas l’homme dans sa finitude.
- L’Angélus exige le double bassin marial et trinitaire comme le lieu fécond de la vie chrétienne
L’Annonciation oscille dans nos têtes entre fête mariale et christologique. Le contenu de la prière de l’Angélus est une clarification théologique en deux directions : trinitaire et mariale.
Dieu prend l’initiative, puisque l’Ange vient apo tou Theou de sa part, et dans l’Esprit (par qui la Vierge conçoit), le Verbe s’est fait chair. On passera des heures à discuter du mode d’action de chacune des personnes évoquant avec H.U. von Balthasar « une inversion trinitaire » ou d’autres subtilités du même genre. Mais, ce qu’il est essentiel de souligner, le minimum, c’est cette ligne trinitaire puissamment active dans la réalisation de l’Incarnation. En attirant l’attention sur cela, l’Angélus nous montre dans le quotidien qu’une vraie vie chrétienne est une vie de style trinitaire, se recevant de Dieu, engagée dans une sequela Christi, dans l’accueil ou la vie dans l’Esprit.
L’autre ligne assez marquée est la ligne mariale non seulement grâce aux triple Ave Maria et au premier verset (l’annonce à Marie) mais également par le deuxième verset de l’Angélus : « Je suis la servante du Seigneur ». Cette ligne mariale est fonctionnelle et exemplaire. Fonctionnelle car elle souligne le rôle de Marie dans la réalisation de ce plan divin. Exemplaire, car elle indique aussi comment les chrétiens, après Marie, devront vivre leur identité en engendrant le Christ pour le monde. M. ZUNDEL dit avec bonheur : « Comme pour Marie, devenue la Mère de Jésus par le fiat de l’Annonciation, en toute âme qui accomplit la volonté divine, il y a une naissance de Dieu » (Marie, Tendresse de Dieu,p.20).
On le voit dans le quotidien, l’Angélus assure un service exégétique au mystère de l’Incarnation.
- Et vous qui récitez l’Angélus, que faites-vous de cette prière ?
Il est triste que la tradition de sonner l’Angélus régresse en Occident. Il est encore plus triste qu’elle ne figure pas parmi les plis prioritaires que les pasteurs béninois donnent à leur fidèles.
Et pourtant, c’est l’Angélus sauvera le monde.
Parce qu’il est prière, adressée à la Trinité par la Vierge Marie, l’Angélus sauvera le monde.
Parce qu’il est une injonction hygiénique à accepter la finitude et à compter avec les exigence spatio-temporelles, l’Angélus sauvera le monde.
L’Angélus sauvera le monde comme une indication claire des locus Trinitatis et le locus Mariae, indépassables en toute vie chrétienne
L’Angélus sauvera le monde si ceux qui récitent encore l’Angélus, incarnent l’Angélus.
Comme on peine encore à comprendre comment le christianisme né dans la souffrance a pu faire souffrir, on comprendra difficilement aussi une religion de l’incarnation qui devienne désincarnée.
Dans un drame de P. Claudel, une jeune fille juive aveugle interroge un chrétien qui a la double lumière des yeux et de la foi : « Mais vous autres qui voyez, qu’est-ce que vous faites donc de la lumière ? »
Et vous qui profitez, trois fois par jour, de l’exégèse de l’Incarnation livrée par l’Angélus, que faites-vous de l’Incarnation ?
Pere Pamphile LEGBA