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Homélie du Dimanche 27 Mars 2022-4ème dim. Carême/C (Jos 5, 10-12 ; Ps 33 ; 2 Co 5, 17-21 ; Lc 15, 1-3.11-31)

Frères et sœurs bien-aimés,

Nous sommes à la 4ème étape du temps de notre imitation du Christ au désert et de notre préparation aux fêtes pascales ; et bien éléments de ce jour saint nous invitent à redoubler d’enthousiasme sur la route de Pâques : non seulement l’Introït, ce chant d’entrée traditionnel nous invite à la joie de Jérusalem (Laetare Ierusalem), mais encore la couleur de pénitence évolue du violet au rose, couleur plus festive. Et je voudrais encourager chacun de nous à continuer l’effort d’attention à la Parole de Dieu, inspiratrice de la résolution de vie que nous avons prise. Ne relâchons pas, Pâques n’est plus loin ! Faisons le choix de Dieu pour avoir la grâce d’y tenir !

De plus en plus de commentateurs de cette péricope dite de l’enfant prodigue sont parvenus à recentrer nos regards sur le vrai personnage central de cette parabole qui nous est si coutumière : il s’agit de la figure du Père que Jésus nous dépeint comme le véritable prodigue en miséricorde. Et c’est cette figure du Père que je voudrais moi aussi, relever. S’il m’était permis de donner un titre à mon homélie, je l’intitulerais volontiers :

LE PÈRE PRODIGUE QUI VA DE L’ÂNE AU COQ !

La 1ère image qui nous est donnée de ce Père, est sa grande générosité et sa grande abnégation ; il doit en effet, de son vivant, « faire le partage de ses biens » ! Chez nous, dans nos traditions, un père de famille à qui son enfant ferait une telle demande aurait demandé dans quel pays nous avons vu des enfants s’amuser avec la coquille d’un escargot vivant ! Tant qu’il est de ce monde, et qu’importe si on le sèche au soleil, les héritiers devront prendre patience et faire profil bas sinon, gare aux modifications testamentaires de dernière minute ! Dieu le Père, au contraire a tout donné : la terre et tout ce qu’elle contient, ce corps et ses merveilleuses puissances et splendeurs, notre libre arbitre et jusqu’à son Fils unique, dans l’espoir que nous en ferons un usage judicieux.

Le deuxième visage que Jésus montre du Père en cette parabole est celui de la miséricorde empressée, inépuisable et jamais lasse de convaincre. Elle devance et persuade les deux fils qui sont, pour moi, les figures à double face d’une égale faute de méconnaissance et d’éloignement. Aucun des deux ne connaît vraiment leur père et ils sont tous les deux éloignés de lui.  Ce Père doit courir, pour ainsi dire, du coq à l’âne, au sens propre de cette comparaison animalière ; le cadet fait vraiment penser à un âne par l’entêtement et la courte vue sur le sens et la destination réelle des biens octroyés ; il fait penser à tous ces gens qui profitent de tous les bienfaits de Dieu sans jamais chercher ni vouloir reconnaître par une soumission reconnaissante, la source et l’origine de tout cela. L’aîné, lui, fait penser à un coq par son orgueil et son autojustification qui n’ont d’égale que la méconnaissance profonde de son propre statut de fils.

Approfondissons encore les figures de ces deux fils : dans nos célébrations pénitentielles, on a trop souvent présenté le retour du plus jeune fils comme un modèle de conversion ; je suis tenté de soutenir que c’est un peu à tort ; je ne crois pas faire ici l’avocat du diable ; mais manifestement, les belles phrases de repentir préparées par ce fils qui a flirté avec les limites du déshonneur et de l’infrahumain – les cochons étaient mieux soignés que lui- ne sont pas inspirées par des motifs tellement élevés ; en fait elles ne dépassent pas son estomac : « Tant d’ouvriers chez mon père ont du pain en abondance, et moi ici, je meurs de faim ! ». Ce n’est pas ce que les moralistes qualifieraient de contrition parfaite ! Reconnaissons-lui cependant le mérite d’avoir su remonter par les voies qui l’ont conduit dans les abysses de l’égarement.

Quant à l’aîné, il semble le plus à plaindre ! Lui qui est resté à la maison, il n’a pas su voir que tout lui appartenait ; il n’a pas vu tout l’amour dont il était aimé ; au lieu de se comporter en propriétaire, il s’est mis à l’étroit, comme un esclave, comme quelqu’un qui rassemble ses preuves pour avoir raison plus tard. Il y a une façon de vivre la vertu qui ressemble à ce qu’a vécu le fils aîné : c’est une espèce de sainteté qui ne rayonne que contre autrui et qui n’existe qu’en fonction des péchés des autres. Adossés à notre sainteté personnelle que nous croyons avoir acquise par nos propres forces, nous refusons d’entrer dans la joie que produit le mystère de la bonté du Père. Cela me rappelle la réplique de l’un des personnages du roman de Dostoïevski, Les frères Karamazov : il disait à propos de la souffrance des enfants que s’il devait assister au paradis, au spectacle d’une mère de famille embrassant le bourreau, le tortionnaire de son enfant, il préférerait rendre son billet d’entrée ! La conscience de notre propre justice, de notre propre sainteté devrait-elle entrer en concurrence avec le mystère de la bonté de Dieu ? Si le mal existe, que nous avons essayé d’éviter et de combattre par notre vie entière, pouvons-nous nous instituer en arbitres et en juges de la bonté de Dieu ? S’il nous est défendu de juger, c’est précisément parce que l’essentiel de l’homme échappe à l’homme. Du reste, comme le dit bien l’ancien archevêque de Paris, le cardinal Jean-Marie Aaron Lustiger, quelque part, la tentation du pays lointain nous tient tous. Simplement, tous n’ont pas l’occasion de s’y perdre. En pensant à saint Jacques, je demande : qui sommes-nous pour nous prononcer sur les œuvres de bonté de Dieu ? Saint Paul, à son tour, demande : « A-t-il pris conseil de quelqu’un pour discerner ? Quel conseiller peut l’instruire ? » (Rm. 11,34)

Retrouvons cette sagesse toute africaine qui conseille qu’il ne faut pas dire du mal de l’enfant du crocodile quand on est encore au milieu du fleuve ! Au lieu d’achopper sur la bonté de Dieu, au lieu de nous exclure de la joie des noces du retour, acceptons de faire confiance à Celui qui sonde les cœurs et les reins et qui n’est qu’amour et miséricorde ; nous-mêmes sommes les preuves obvies, les objets patents de cette miséricorde insondable et surabondante du Père, qui nous précède toujours. Ne le faisons pas courir du coq à l’âne ! Courons plutôt à Lui, dans la joie et la confiance. Ce dimanche nous y invite expressément !

(Chant)

Mais si je me levais, si j’allais aujourd’hui,

Mais si je retournais vers mon Père et ma vie,

N’aura-t-il pas pitié

O pitié ?

Le front baissé, l’enfant prodigue,

Ô Seigneur, c’est moi

La main qui s’offre et me relève

Ô Seigneur, c’est toi.

Père Macaire Gildas THON

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