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Homélie du 3ème dimanche de carême / Année A ( Ex 17,3-7 ; )Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9 ; Rm 5, 1-2.5-8 ; Jn 4, 5-42 )

« Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”… »

Bien-aimés dans le Seigneur ! Chers amis !

Un certain nombre de paradoxes émergent, de toute évidence, du récit évangélique que nous venons d’entendre. D’abord, Jésus arrive à Sykar, une ville de Samarie, près du puits de Jacob, après un long et fatigant voyage ; « il était fatigué par la route », observe l’évangéliste. Mais paradoxalement, il ne se repose nulle part dans l’Évangile ; au contraire il entre dans un long dialogue avec la femme samaritaine, et on n’entend plus parler de sa fatigue, comme si celle-ci était absorbée par la rencontre et les échanges. Nous avons, de fait, droit à l’un des plus longs dialogues de Jésus dans l’Évangile de Jean. Ensuite, Jésus a soif, et demande explicitement à la Samaritaine : « Donne-moi à boire ». Cela est tout à fait normal, lorsqu’on considère qu’il avait peut-être voyagé toute la matinée et qu’il était environ midi. Mais la suite de l’extrait évangélique ne mentionne aucun moment où Jésus étanche sa soif. La discussion commencée aussitôt avec la Samaritaine semble avoir calmé cette soif. De quoi Jésus avait-il alors soif ? Enfin, il avait aussi faim – ce qui se comprend parfaitement – ; et les disciples étaient allés en ville acheter des provisions. Mais, à leur retour, lorsqu’ils l’invitèrent à manger, sa réponse était plutôt surprenante et énigmatique, au point où ils se demandaient : « Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ? ».

De ces attitudes paradoxales, une mérite particulièrement notre attention : celle relative à la soif de Jésus. C’est elle qui fait l’unité du passage évangélique. Jésus demande sans détour à la femme samaritaine : « Donne-moi à boire ». Et il avait effectivement soif. Mais, il va passer subtilement de la soif physique, celle qu’il éprouve, à la soif spirituelle et profonde, celle de la femme, qu’elle ignore peut-être ; celle de tout homme. Jésus se révélera alors comme celui qui assouvit cette soif profonde de la vie. Il est le don de Dieu, la source d’eau véritable. Il passera alors avec la femme samaritaine de la joie passagère au bonheur véritable et définitif. Voilà pourquoi il lui répondra clairement : « Si tu savais le don de Dieu et celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive ». Il ne revenait donc pas à Jésus de demander à boire, mais c’était plutôt la femme qui devait prendre conscience de son besoin réel de salut et de Dieu et de ce que ce besoin était totalement comblé par son vis-à-vis, Jésus. Jésus ramène donc l’attention de la Samaritaine à l’essentiel : le salut, la vie éternelle.

La femme était appelée à discerner en Jésus l’unique capable de satisfaire sa soif de la vie éternelle. Elle n’avait plus à aller chercher loin. Jésus est le don de Dieu pour le bonheur et le salut de l’humanité. En lui tout homme trouve et obtient tout ce qu’il lui faut. Dans son affirmation, Jésus établit un parallélisme admirable entre « le don de Dieu » et « celui qui te dit ». « Si tu savais le don de Dieu (disait-il) et qui est celui te dit » ; ce qui revient précisément à ceci : « Si tu savais le don de Dieu, c’est-à-dire qui est celui qui te dit ». La conjonction « et », en grec « καί », assume ici un rôle explicatif, comme le suggère la grammaire grecque ; il ne coordonne pas, mais explique. Il explique quel est ce don de Dieu : une personne. C’est celui qui se tient devant la femme samaritaine et qui lui dit « Donne-moi à boire ». C’est Jésus le don de Dieu : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “donne-moi à boire” ». Jésus met la Samaritaine en face de sa soif fondamentale d’eau vive et lui révèle que Dieu a tout disposé pour la satisfaire. Il a envoyé Jésus-Christ, don de Dieu, source d’eau jaillissant pour sa vie éternelle. Voilà pourquoi le thème du don caractérise en long et en large la première partie du dialogue de Jésus avec la Samaritaine (vv.7-15). Les mots “donner” et “don” (en grec, δίδωμι et δωρεά) y apparaissent au moins 8x. C’est d’abord Jésus qui demande à la femme de lui donner à boire, avant de se révéler à elle comme le don de Dieu, celui qui fait sourdre l’eau de la vie éternelle ; et enfin la femme, progressivement gagnée par l’enseignement du Christ, s’écrira : « Donne-moi de cette eau, que je n’ai plus soif ». Tout le reste du passage évangélique se développera dans cette direction, si bien que cette thématique du don fera l’unité du récit. C’est dans cette perspective du don de Dieu que se poursuivra le dialogue avec la Samaritaine, que Jésus accueillera les disciples à leur retour de la ville, et que se déploiera la rencontre avec les autres Samaritains accourus pour l’écouter.

Lorsqu’on a rencontré ainsi le don de Dieu en personne, lorsqu’on l’a vu et entendu, comme la Samaritaine, on ne peut que renoncer à tout pour se mettre résolument à son service. Ce fut bel et bien son cas. À l’issue de son dialogue avec Jésus, elle qui était venue puiser de l’eau, subitement laissa sa cruche et courut annoncer aux siens qu’elle avait rencontré le Christ. Elle était devenue l’annonciatrice des merveilles accomplies par le Christ. « Il m’a dit tout ce que j’ai fait », proclamait-elle sans cesse. C’est par là, en effet, que Jésus confirmait à ses yeux qu’il était le don de Dieu. La première exclamation christologique jaillissait, de fait, de la bouche de la femme après cette révélation de Jésus : « Je vois que tu es un prophète ». Jésus, l’assoiffé, transforma son interlocutrice en une authentique annonciatrice de ses merveilles, celle par qui beaucoup de Samaritains crurent en lui. Nous arrivons là au sommet du paradoxe !

La Samaritaine n’oublia donc pas sa cruche, mais la laissa volontairement, à l’instar des premiers disciples qui laissèrent leurs filets et leur père pour suivre Jésus ; de Pierre qui laissa les poissons de la pêche miraculeuse pour se mettre à la suite du Christ. Le verbe utilisé est d’ailleurs le même : laisser, abandonner, ἀφίημι, en grec. La femme n’avait plus besoin de sa cruche. En Jésus-Christ, elle avait le don par excellence de Dieu. Don auquel, elle amena plusieurs de ses frères samaritains. C’est Jésus lui-même qui, dans cet Évangile, aura, le premier, transformé sa soif d’eau en soif d’âme. Et à la fin, sera comblé. À son école et à son exemple, la Samaritaine transcendera son besoin du moment pour accueillir le don de Dieu incarné en lui et le partager avec les siens.

Chers amis, l’attitude de la Samaritaine est radicalement aux antipodes de celle du peuple rebelle de la première lecture. Elle a cheminé avec Jésus dans le dialogue et s’est laissée transformer par lui. Elle a accueilli le don de Dieu en Jésus, et reconnu en lui le prophète et le Christ, la vraie source d’eau et de vie éternelle. À elle Jésus s’est révélé comme le rocher duquel jaillit l’eau de la vie éternelle. À elle, il s’est révélé comme le nouveau Moïse, celui qui par son bâton (la lointaine préfiguration du bois de la croix) donna de l’eau à boire au peuple dans le désert. Mieux, il s’est révélé à la Samaritaine comme Dieu lui-même : « Je le suis (ἐγώ εἰμί), moi qui te parle ». Jésus est donc celui qui accomplit toutes les préfigurations de l’Ancienne Alliance ; il est celui qui accomplit la volonté et les œuvres de Dieu.

Bien-aimés frères et sœurs, chers amis, en ce temps de Carême, saurions-nous continuer à regarder notre Seigneur Jésus-Christ comme le don véritable de Dieu, celui en qui nous avons absolument tout ? Celui qui assouvit chacune de nos soifs, celle de la vie éternelle en l’occurrence, alors même que nous sommes des êtres injustes et pécheurs (2ème lecture) ? Saurions-nous nous prêter à la pédagogie de sa rencontre et de ses dialogues intérieurs pour qu’il nous dise et nous redise qui il est ? Saurions-nous faire de nos temps de prière et de jeûne de cette troisième semaine de Carême des espaces et des occasions d’une meilleure connaissance de son amour et d’un détachement effectif pour le laisser nous combler du don de Dieu qu’il est pour chacun ? Saurions-nous, enfin, nous porter joyeusement vers nos frères et sœurs d’ici et d’ailleurs, spécialement les plus démunis, pour partager avec eux et leur communiquer la lumineuse expérience du Christ, don de Dieu, richesse et bonheur de l’humanité ?

« Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”… »

Père Fiacre GAMBADATOUN

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